lupin a écrit:J'ai donc l'impression qu'un flou savamment entretenu entre ces différents types de mariage a permis de légitimer une lutte contre cette ouverture du mariage, là où l'État n'impose rien au mariage religieux.
Les églises peuvent bien entendu participer au débat en tant que débatantes et philosophes, il m'apparaît cependant étonnant qu'elles aient laissé de côté leur capacité prospective pour se concentrer sur la défense d'un modèle acquis qui les laisse démunies face aux évolutions de la société. Par exemple, là où les premiers apocryphes semblent laisser penser que St. Paul a pu envisager une égalité femme-homme, ses écrits plus tardifs laisse penser qu'il a pu prioriser ses revendications en remettant à une période plus adaptée cette égalité.
Si le « aimez-vous les uns les autres » reste réellement la base de la religion chrétienne et catholique, alors celle-ci a encore un potentiel de participation à l'évolution des sociétés, de défense des faibles, etc. Sinon, je crains qu'elle ne reste que cette structure réactionnaire par définition condamnée à rester sur des positions déjà acquises.
Je partage entièrement ton point de vue. L'Eglise, comme toute institution représentant une religion, peut apporter un point de vue religieux, théologique plus que philosophique, d'ailleurs. Mais elle ne peut pas prétendre parler du mariage civil. Or le clergé a tout fait pour faire oublier cette distinction et entretenir le flou sur ses prérogatives réelles. C'était une remise en cause directe de la séparation des Eglises et de l'Etat, et les médias n'y ont vu que du feu. Pire, ils ont donné une légitimité inappropriée au clergé en invitant très souvent ses représentants dans le rôle de philosophes, un comble quand on sait les relations déplorables que l'Eglise a toujours entretenu avec la philosophie depuis des siècles.
Par bonheur, il y a eu quelques anthropologues pour s'exprimer sur le sujet et parler des changements de fond qu'ils ont observé dans les sociétés au cours des derniers siècles. Ce qui a permis de montrer que l'ouverture du mariage civil aux couples de même sexe s'inscrivait de manière logique dans une progression de temps long. Et que, bien loin de menacer la structure familiale comme le prétendaient le clergé catholique et la Manip' pour tous, elle contribuait à la renouveler et à l'accorder avec les réalités sociales actuelles.
La sclérose des institutions catholiques et leur dérive par rapport au "message chrétien" des premiers siècles ne sont malheureusement pas des phénomènes nouveaux, loin de là. Ce sont déjà eux qui ont été dénoncé par la Réforme et ont donné naissance au protestantisme, mais tout cela a été en bonne partie noyé par la Contre-Réforme qui a suivi. De nombreuses initiatives individuelles ou collectives ont tenté de secouer la poussière vaticane. Quand on lit une écrivaine comme George Sand, conspuée par l'Eglise en son temps, on se rend compte qu'elle est profondément croyante, de sensibilité chrétienne, et qu'elle propose des réflexions de fond d'une ampleur et d'une nuance admirables sur tout un tas de sujets, dont les problèmes du clergé catholique. Le mouvement des prêtres ouvriers, dans les années 1940-50, c'est pareil : Pie XII arrête tout en 1954 alors que c'était un mouvement novateur qui rapprochait les prêtres des populations. On pourrait multiplier les exemples.
Dans le cas de l'ouverture du mariage, de nombreuses enquêtes parues dans les médias après coup ont montré que le haut clergé catholique avait donné des ordres à tous les échelons de la hiérarchie pour faire campagne contre ce projet de loi. Or, dans le même temps, des sondages réalisés auprès des chrétiens (dans La Croix, je crois) montraient qu'un tiers des chrétiens était favorable au mariage des couples de même sexe. Un tiers, ce n'est pas la majorité, mais c'est suffisant pour que les représentants de ces croyants ne prétendent pas parler au nom de tous. Il y avait là l'occasion d'un débat interne que l'Eglise a complètement manqué.