Bon, avec le titre, vous savez de quoi je vais parler.
D’abord, il faut dire d’où je pars. Je suis rôliste de longue date. Pour se faire un ordre d’idée, j’ai commencé avec AD&D. Voilà.
Ensuite, pourquoi j’écris ça ? Et bien, parce que je vois un énième sujet sur la X-Card partir en sucette mais en vrai, ça me trottait depuis un moment… Le plus souvent, je passe à côté des débats passionnés mais je lis quand même, ça doit être mon coté concierge. Quand on a un peu de bon sens, on réfléchit avant de prendre le risque de rentrer dans une spirale infernale d’argumentation chronophage. Je sais très bien qu’un seul mot maladroit peut être monté en épingle et servir de preuve absolue pour se faire pourrir. D’autant plus que je suis « coupable » de faire partie de la FFJDR. Je reviendrais une autre fois sur mon engagement dans cette organisation que j’ai rejoins il y’a deux mois mais vous aurez compris que les guillemets sont ironiques. Au passage, je précise que ceci n’est pas un communiqué officiel et que j’écris de mon propre chef, comme un grand garçon,
Edit : sans concertation aucune non plus avec Axelle B. qui vient de poster également dans la même section, me souffle-t-on dans l’oreillette.
Bref. la X-Card, j’étais contre. Parce que le premier contact que j’ai eu avec ce concept a été un contact violent. Violent dans le sens où la communication qui l’entourait était excessive. Attention, je sais bien que sans une énergie infaillible et la volonté de combattre, il y’a des tas de progrès sociaux qui n’aurait jamais vu le jour, tout comme les révolutions ne se font pas en restant assis sur l’herbe mais armés jusqu’aux dents. Mais je suis comme ça, quand les gens gueulent, je n’écoute plus. Si la forme est agressive, le fond a peu de chance d’atteindre mon cortex.
Il m’est arrivé de lire que si on est contre la X-Card - ou dans un autre genre contre l’écriture inclusive alors que c’est deux sujets différents - ca prouve (?!) qu’on est contre l’avortement et autres raccourcis surréalistes. Y’a de quoi serrer des dents. Dieu merci, la majeure partie des « progressistes » savent communiquer. Mais de la même manière que chez les « contre », c’est la minorité adepte de l’outrance qui fait le plus de bruit.
On est à une époque où les phrases assassines sont saluées par des pouces levées, où l’on encense des chroniqueurs télé qui snipent les invités. Il faut 10 secondes pour faire le buzz en se moquant de quelqu’un qui a passé 10 mois à produire un livre. Y’a comme une prime au tacle à la glotte. Attention, je ne suis pas contre l’humour - je l’aime d’ailleurs bien absurde - mais je trouve que les plus acharné.e.s (de chaque coté, je le rappelle) tire souvent à « balles réelles » sur le camp d’en face. Sans faire de généralités, y’a deux styles qui se détachent assez souvent : condescendance d’un coté et vulgarité de l’autre avec quand même un point commun regrettable, des attaques ad hominen.
Il faut ici rappeler une réalité très simple sur la nature humaine et la résistance à entendre (j’ai pas dit « écouter ») les voix dissonantes avec sa propre conception de ce qui est bien ou pas. Il n’y a même pas besoin d’être rôliste de longue date pour ne pas apprécier recevoir de « leçons ». Avez-vous remarquer combien les rôlistes soutenaient que leur pratique était bonne ou avait le désir de raconter leur partie « méga trop cool » mais n’avaient qu’une oreille distraite ou des mots acerbes pour les autres formes de jeu ?
Je m’égare un peu. Pour en revenir au fond du sujet, j’ai eu la chance de pouvoir échanger avec des personnes aptes au dialogue et qui ne me balançait pas que j’étais un mâle caucasien hétéro cisgenre dès la seconde phrase.
Je reviens sur la X-card pour laquelle j’ai pu lire nombre d’objections et d’énumération d’items déjà employés (j’extrapole ci-dessous, ne retenez que le sens) :
- On en a jamais eu besoin à ma table.
- J’ai un score d’empathie de ouf.
- Les fragiles, circulez, venez pas gâcher l’ambiance.
- Avec mes joueurs, on se dit tout même que j’ai une fiche listant les sujets problématiques.
- Mes joueurs sont assez adulte pour signaler un problème*, etc.
Bon, prenons maintenant l’exemple fictif d’une scène de jdr qui n’a finalement pas l’effet escompté :
Les pj arrivent dans un débit de boissons (taverne, bar, whatever). Dans le décorum, le poivrot du coin qui essaie de se faire payer à boire. Le gars radote mais au milieu de ses inepties, il y’a de quoi subodorer qu’il sait des choses interessantes liées à l’enquête des pj.
Le ton de la scène est bon enfant, le mj livre une performance fun avec son pnj. Un des pj, le cabotin de service, est parfait pour le faire parler. Tout va bien.
Imaginons maintenant qu’un des participants de la table a appris la veille qu’un ancien camarade de fac qui aimait bien boire vient de mourir d’une cirrhose. Quelle est la probabilité pour que ce joueur ait envie de raconter ce truc avant la séance ? Il est venu s’amuser, pas plomber l’ambiance. Honnêtement, est-ce que ce joueur va trouver la scène amusante ? Et quelle est la probabilité pour qu’il décide d’intervenir pour dire « hé les gars, c’est pas drôle » alors qu’il culpabilise peut-être de ne pas avoir été davantage présent pour cet ami ?
J’essaie pas de faire pleurer dans les chaumières, hein, c’est juste un exemple qui n’a rien de loufoque.
En vrai, sauf si j’ai mal compris (1), la carte X sert à ce qu’une personne puisse signaler qu’une scène initiée lui pose problème. A une table où la carte est utilisée et comprise, les partenaires ont la bienveillance (sérieux, c’est pas un gros mot) de ne pas chercher à savoir où est le problème. Le mj passe alors à la scène suivante. C’est pas bien compliqué pour lui vu qu’il passe le clair de son temps à improviser. Dans les faits, il est pas impossible (mais pas obligatoire du tout) que le joueur qui a posé le doigt sur la carte au centre de la table prenne plus tard le temps d’expliquer à ses partenaires - avec lesquels il partage de nombreuses heures de jeu, activité sociale donc - ce qui lui avait donné mal au bide.
Une des raisons du succès de la carte X, c’est parce que c’est quand même ultra simple à utiliser. Et une des raisons de son rejet, c’est qu’elle est parfois accompagnée d’un « si tu ne penses pas comme nous, t’es qu’un … » (je m’auto-censure tout seul).
Dès fois, j’ai l’impression que c’est le mot X-card qui pose problème. En vrai, je ne peux pas croire qu’il y’ait la moindre table de jeu de rôle qui n’en est rien à faire du plaisir des joueurs. Bon, j’ai déjà vu des mj faire tourner les joueurs comme des serviettes au service de leur grande oeuvre mais passons. Beaucoup de rôliste utilisent leur propre outil de bienveillance : bon sens, écoute, véritable interêt pour les joueurs en demandant systématiquement un feedback, etc.
Okay ! Et tant mieux si ça fonctionne d’autant que dans l’immense majorité des cas, ça suffit. Cependant avec l’exemple ci-dessus, ces seules préventions ne marcheraient pas trop. Maintenant, laissez-moi vous partager deux true story :
a/ Campagne maison Medfan : Le personnage de la joueuse C. tombe enceinte. Quelques parties plus tard, méga plot twist pré-accouchement du pj, elle perd l’enfant qui devient en prime la grande divinité méchante de la campagne, le big boss final à vaincre… Ouaip. Sauf qu’irl, la joueuse C. essaie d’avoir un enfant depuis 8 ans, le genre de combat de longue haleine avec moult piqures et rdv éprouvants qui te refile du rollercoaster émotionnel bien gratiné.
b/ Même campagne : Le personnage de D. file le parfait amour avec une pnj. Mais il se retrouve contraint de lui tourner le dos pour épouser une autre pnj (de noble famille) pour le bien de la communauté dont il a hérité de la responsabilité par la force des événements. Pour rendre le dilemme moral encore plus intense, le pj apprend 8 mois plus tard que son ex à mis au monde un fils. Ouaip. Sauf qu’il se trouve que le joueur D. est divorcé et qu’il est le papa un week-end sur deux d’un garçon qui vit avec sa mère depuis ses douze mois.
Là, vous pourriez dire « mais il est con, ce mj où quoi ? ». Pas du tout. Ce mj aime d’un amour véritable les joueurs avec lesquels il joue et C. est même sa BFF. Qui plus est, il est particulièrement doué d’empathie et pourtant, il n’a pas vu le malaise arriver et pas interprété le long silence de C. Ce que je veux dire par là, c’est qu’on peut avoir la meilleure volonté du monde, on reste humain et on peut faire des bourdes. Bien sûr, on peut en être sincèrement désolé mais je sais que ce mj aurait préféré ne pas les commettre. Y’avait pas d’X-card à table. Cet outil n’aurait pas annulé la scène mais elle aurait sans doute mis un terme à l’envolée lyrique descriptive.
Pour ma part, avant de lancer la campagne playtest du jeu que je développe, j’ai utilisé la méthode de demander à ma table de lister les sujets problématiques. Mais quand j’ai vu les réponses, OMG, ça faisait mettre à la poubelle beaucoup de travail. Finalement, j’ai proposé d’essayer la X-card et franchement, ça n’a apporté que du bien :
1/ J’anime sans avoir à me demander si je peux jouer la scène qui va suivre. Honnêtement, si j’essaie de me souvenir du listing des problématiques, je vais zapper des choses.
2/ Avec ce bout de papier et cette croix, on va plus loin en intensité de jeu qu’on ne l’aurait fait sans. Le fait de savoir qu’on a un petit « code rouge » pour savoir quand lever le pied nous permet de nous lâcher dans tous les panels de l’émotion. Ca peut être une engueulade entre pj, une scène « adulte », un roleplay d’intimidation, etc.
Un mot par rapport à ce que j’écris ci-dessus. Je sais que la pratique d’aimer jouer des scènes intenses est parfois décriée. Il se trouve que je considère le jeu de rôle comme le meilleur des médias. Coté médias, si je mate des séries et films pour vibrer, c’est pour me lever du canapé quand Crixus aide finalement son ennemi des 9 premiers épisodes à atteindre la terrasse, à être bouleversé quand je comprends tous les non-dit de Festen, etc. Je fais du jdr pour rechercher la même immersion mais plus en qualité de simple spectateur. Quoi qu’il en soit, y’a pas de bonne ou de mauvaise façon de jouer du moment qu’on y trouve son compte.
In fine, la X-card, vous en faites ce que vous voulez.
Personne ne prétend qu’elle sauve des vies, hein. S’il y’a un seul lecteur ou une lectrice à qui ces longues explications auront servi, j’aurais pas perdu mon temps. Et si, croix de bois, crois de fer, voulez rester contre, c’est votre droit. Je pense même que son utilité la plus fréquente (mais j’ai pas de stat.), c’est de faire comprendre de façon subliminale que « ça va bien se passer ». Dans ma table playtest, elle a servi une seule fois en plus de 40 séances et c’est moi en tant qu’mj qui avait posé l’index dessus.
Have fun, les gens. Jouez plus, critiquez moins.
Dragan
PS :
- Je prône la modération dans les échanges mais je suis comme n’importe qui, y’a bien des trucs qui peuvent me faire partir sur la stratosphère alors je ne peux absolument rien affirmer sur le sang-froid que j’aurais ou pas si je recevais des injures ou des menaces off the record. Donc, vraiment je ne juge personne. Ce qui est fait est fait, ce qui a été dit ou écrit est déjà passé. Demain m’intéresse davantage.
- Vraiment, longue vie aux discussions. Allez, je cite un extrait des premières lignes de la définition wikipédia du mot discussion : « Il y a discussion lorsque chacune des parties réagit aux signaux de l’autre partie. La confrontation des signaux a pour objectif d’enrichir la connaissance des différentes parties. Cela implique l’écoute qui est le point de départ constituant le prolongement de l’échange. »
- Pour reprendre l’expression « dissocier l’artiste de son oeuvre », je fais la différence entre les individus et ce qu’ils font ou expriment. Ainsi, si je peux être en désaccord avec les mots et les actions d’une personne, ça n’enlève en rien la sympathie naturelle que j’ai pour tous les rôlistes.
(1) : En fait, j’ai relu le modus operandi de la X-Card et il se trouve que je suis partiellement à coté ! A la table où je joue, on l’utilise pour considérer qu’une scène est finalement hors-champ, c’est à dire qu’on ne la joue pas et on ne la décrit pas mais on ne nie pas son existence à l’intérieur de la fiction. Promis, si jamais elle est à nouveau utilisé à table, on essaiera la méthode « annulation pure et simple » de la scène pour improviser autre chose.